Tout le monde sait que Kanye West est atteint du trouble bipolaire. Le rappeur, qui a déjà effectué des séjours en hôpital psychiatrique, en a parlé publiquement et même composé une chanson sur le sujet (“I hate being bipolar, it’s awesome” – “Je déteste être bipolaire, c’est génial”).
Bien que rares, ces comportements maniaques peuvent inclure : propos hallucinés, conduites dangereuses, dépenses inconsidérées, exhibition corporelle, insanités, menaces physiques, etc. Toutes les personnes atteintes de ce trouble ne délirent pas, cela concerne même une minorité. Mais quand l’orage se déverse sur vous, que vos repères habituels et même votre propre rapport au réel volent en éclats, c’est effrayant, pathétique et parfois… drôle, surtout rétrospectivement, quand la longue bourrasque est passée. Ces symptômes sont généralement peu racontés par l’entourage, dans un souci de protection de la personne. Mais cette discrétion génère aussi une forme de malentendu de la part des inconnus et du public.
Quand j’ai entendu Kanye West s’extasier sur Hitler, ce n’est pas lui que j’ai eu envie de vilipender spontanément, mais l’homme qui a profité de son instabilité pour créer une bronca médiatique. Ce sont les réseaux sociaux, les journalistes, les faux amis, les individus qui ne prennent pas le temps de se dire qu’il faudrait l’aider et préfèrent lui tendre un micro. J’en veux aussi à l’époque, je crois. Nous vivons un moment où la santé mentale est fortement présente dans les conversations. Dépression, anxiété, névrose : chacun peut désormais se livrer en public sur ses difficultés, et c’est très positif. Mais quand on en vient au délire, à la psychose, c’est-à-dire à ce qui déborde plutôt qu’à ce qui s’affaisse, il me semble que la gêne reste palpable. Au point que nous oublions, par moments, qu’il s’agit de personnes malades.
La plupart des gens n’ont pas vu de proches en phase maniaque aiguë, et ils ont de la chance. Je souhaiterais néanmoins apporter un petit contrepoint à certains discours ambiants à la tempérance mal avisée. Aussi difficile que cela soit à entendre, il ne faut pas minimiser la gravité et, disons-le, la dangerosité potentielle de cette pathologie, à la fois pour le patient et son entourage. Oui, prescrire du lithium peut s’avérer indispensable ; oui, une hospitalisation d’office est parfois nécessaire ; oui, une mise sous tutelle peut être indiquée. Le trouble bipolaire n’est pas une composante de l’identité comme une autre. C’en est quelquefois le foyer destructeur. Dans les moments critiques, il n’y a rien d’autre à faire que rester attentif à la personne, laisser faire les professionnels, et se taire. Pour le bien de tous.
Christian Cordt-Moller, Pharmacien FPH / propriétaire